Des jeux qui font la différence ?

September 14, 2020 · 8 minutes à lire

Il y a quelques jours, Benjamin Corbaz recherchait des jeux coopératifs sur le thème de “la différence est bonne” pour un petit groupe de catéchisme:

Voici les jeux que je lui ai suggéré rapidement sur twitter. Je développe un peu plus longuement ici.

L’Île interdite

Sur ce thème, le premier jeu qui me vient à l’esprit est l’Île Interdite (Matt Leacock, 2010). Ainsi que ses successeurs: le Désert Interdit (2013), le Ciel Interdit (2018); ou leur père Pandémie (2008) — ou son adaptation dans l’univers biblique des Rois d’Israël (Lance Hill, 2014).

Osez débarquer sur l’île interdite ! Formez une équipe d’intrépides aventuriers et coopérez pour réussir une mission insensée : récupérer 4 trésors sacrés au milieu des ruines. Le péril vous guette, car l’île s’enfonce dans les flots. L’entraide sera la seule solution pour réussir !

Chaque joueur incarne un personnage avec une capacité spéciale. Pour réussir à récupérer les 4 trésors et s’envoler de l’île avant qu’elle ne s’effondre, chacun·e doit bien mettre à profit sa capacité, et profiter de celle des autres.

Au niveau de la mécanique, ce genre de jeux est une des très bonnes illustrations ludiques de la métaphore du corps que l’on retrouve dans la Bible à différents endroits (1 Corinthiens 12, Romains 12, Éphésiens 4): nous sommes tous les membres d’un même corps. Si tout le monde essaie d’être pieds, ou main, ou nez, le corps ne fonctionne pas. On ne peut vivre ensemble que si chacun·e trouve sa place, joue son rôle, respecte la diversité, et assume la dimension interconnectée qui nous relie.

Au niveau de l’expérience de jeu, par contre, ce type de jeu coopératif où tout le monde à accès à toute l’information (ou presque) peut faire apparaître un comportement intéressant: celui du joueur alpha. Un·e joueur·se qui comprend plus rapidement la stratégie optimale, ou qui a un caractère plus dominant, va se mettre à dicter aux autres ce qu’iels doivent faire. Le jeu devient une espèce de solitaire, avec un seul joueur et des exécutants.

Si un tel jeu est suivi d’une discussion, il peut être intéressant de la faire porter sur ces deux niveaux: la complémentarité entre les personnages (méso-jeu), et celle entre les joueurs (meta-jeu).

4 joueurs max (5 avec le Désert ou Ciel Interdit). À six il peut être intéressant de faire deux tables de trois, et de discuter les expériences.

(Tip: Une manière d’éviter le phénomène du joueur alpha dans l’Île Interdite, tout en ajoutant un petit côté thématique, est de ne permettre aux joueur·se·s de ne parler entre eux que s’iels sont sur la même case. C’est cohérent avec le fait qu’il faut être sur la même case pour s’échanger des objets.)

Magic Maze

Dépouillé de toutes leurs affaires, un groupe d’aventuriers, constitué d’une magicienne, d’un barbare, d’un elfe et d’un nain, se lance dans une drôle de mission : dévaliser le centre commercial du coin, pour récupérer l’équipement nécessaire à leur prochaine aventure.

Magic Maze (Kasper Lapp, 2017) est un jeu coopératif en temps réel et en silence (par moments du moins), pour 1 à 8 joueur·se·s. Contrairement à l’Île Interdite, chaque joueur·se n’incarne pas un personnage, mais une action. Par exemple je pourrais déplacer n’importe quel personnage vers le Nord (mais pas dans une autre direction), un·e autre pourra déplacer vers le Sud, un·e autre pourra faire prendre les escaliers roulants, un·e autre pourra utiliser les téléporteurs, etc.

Pour s’en sortir, il faut donc avoir la vision d’ensemble de ce qui se passe: quel personnage doit aller où pour trouver son équipement; puis joueur sa part spécifique dans le groupe — et compter sur les autres pour qu’ils jouent la leur.

Contrairement à l’Île Interdite, où le fait de jouer sa capacité spéciale est un bonus qui aide à faire gagner le groupe, ici ne pas jouer sa capacité spéciale va certainement mener à la défaite du groupe. Cet aspect, couplé au temps réel et à l’absence de communication, peut rendre l’expérience un peu (voir très) stressante pour cellui qui n’arrive pas à suivre tout ce qui se passe. Et créer pas mal d’exaspération pour les autres.

Il faudra donc être vigilant à cet aspect dans la dynamique de groupe: veiller à ce que l’expérience reste plaisante pour chacun·e, et travailler cette question si des tensions naissent: comment gérer cellui qui fait perdre l’équipe parce qu’iel n’assume pas spécificité? Comment les membres du groupe qui ont une meilleure vision d’ensemble peuvent aider ceux qui en ont moins — sans leur mettre trop de pression? (Et il y a un mécanisme dans le jeu qui permet cela).

En général, Magic Maze, on aime ou on aime pas, mais c’est une expérience qui ne laisse pas tout à fait indifférent.

Just One

Just One (Ludovic Roudy et Bruno Sautter, 2018) est un jeu d’ambience coopératif beaucoup plus léger que les précédents. Les règles sont expliquées en 1 minute, on peut quitter ou rejoindre facilement le jeu, et le faire durer aussi longtemps (ou aussi brièvement) qu’on le souhaite.

Le groupe doit faire deviner un mot mystère au joueur actif. Pour cela, chacun·e écrit en secret un indice qui fait penser au mot recherché. Mais avant de révéler les indices au joueur actif, le groupe se les montre — et tous les indices identiques sont éliminés. Et bien sûr, plus il y a d’indices différents, plus c’est facile pour le joueur actif de trouver le mot mystère.

Par exemple, si le mot recherché est “couteau”, peut-être que les indices suivant seront proposés:

  • tranchant
  • suisse
  • fourchette
  • lame
  • fourchette

Comme “fourchette” a été écrit plus d’une fois, on l’effacera. Quand le joueur actif ouvrira les yeux, il ne verra que: “tranchant”, “lame” et “suisse”. S’il trouve “couteau” du premier coup, le groupe marque un point. S’il se trompe, le groupe perd deux points. S’il passe, le groupe ne perd qu’un point.

Ici, l’uniformité est pénalisée. Mais trop de différence n’aide pas non plus. Des associations d’idées trop farfelues n’aideront pas à trouver le mot mystère, mais créeront de la confusion.

Si l’on voulait thématiser cela, on pourrait discuter autour de la manière dont les marges sont intégrées — dans la société, dans une communauté, dans un groupe. En général on valorise très volontiers un peu de différence. Par contre ce qui est trop différent est incompréhensible, on peut le percevoir comme menaçant, et chercher à vouloir le neutraliser.

Après, on peut aussi simplement se faire plaisir à jouer et rigoler beaucoup sans trop se poser de questions.

Unlock!

Peut-être plus “risqué” en termes de dynamique, mais potentiellement plus riche — surtout si l’on souhaite construire un groupe qui va continuer à exister au-delà de l’expérience de jeu: un escape game. Par exemple la série Unlock!, ou d’autres comme EXIT.

Unlock! est un jeu coopératif qui offre dans son salon une expérience similaire à celle d’une escape room. On doit résoudre ensemble une énigme, dans un temps donné. En cherchant des indices, combinant des objets, crackant des codes, etc.

Chaque boîte contient trois scénarios dans des univers complètements différents: de 20 milles lieues sous les mer à Alice au pays des merveilles en passant par un jeu vidéo, une chasse au trésor, une maison hantée ou encore un espèce de jurassic park. Le tout guidé par une application qui offre aussi une musique d’ambience.

Les scénarios sont à usage unique (comme une escape room, on a pas envie de la refaire juste après l’avoir faite). C’est donc typiquement le genre de jeu à prendre en ludothèque (il y en a une près de chez toi, va t’y inscrire si tu ne l’a pas encore fait).

Contrairement aux autres jeux mentionnés ci-dessus — où la mécanique et les règles intègrent explicitement la notion que les différences sont une richesse — ici c’est uniquement l’expérience de jeu qui peut révéler celà. Ou pas.

Dans mon expérience, autant des escape rooms que des escape games, c’est souvent la différence des approches entre les joueurs qui permet de résoudre les problèmes. Cela m’est arrivé très souvent de m’émerveiller de la solution qu’un autre joueur apporte à un problème en me disant “je n’aurais jamais pensé à ça en un million d’année!”. Et réciproquement, de résoudre un problème en un coup d’œil alors qu’un autre joueur planchait dessus depuis un petit moment.

Avec de telles expériences, on voit qu’on a besoin les uns des autres, et que nos différences — si elles sont bien coordonnées et orientées vers la résolution d’un but commun — sont une vraie richesse.

Après, c’est peut-être juste mon expérience des escape room/game. Et j’ai souvent joué avec des gens que je connais bien par ailleurs. Est-ce que c’est juste moi?

Et encore…

Sur facebook, où la même question a été posée, quelques autres réponses:

  • Fred Hubleur a proposé [kosmopoli:t] (le lien envoie vers son site, qui a plein de bonnes choses autour du jeu mais pas seulement).

  • René Giroud a suggéré Galérapagos (avec le bémol qu’en full co-op ça manque de rebondissement, et que l’on peut se trahir et sacrifier des joueurs).

  • Finalement, Sylvain Corbaz a suggéré de faire du jeu de rôle, et notamment son jeu Testament D6qu’on se fera un plaisir de vous présenter sous peu !

Et vous?

Et vous, quels jeux connaissez-vous pour faire une expérience positive des différences ?

Ludiquement,
olivier aka theologeek